Accueil  > Carnet de voyage  > Récit d’un dialysé en Islande

Récit d’un dialysé en Islande

Voyage en Islande « un peu de liberté dans la dialyse »
Par Gilles Lainé

Cet été, Gilles Lainé, passionné de volcans, a réalisé son rêve: voyager en Islande tout en étant dialysé. Récit de son parcours et de son voyage avec 66° Nord.

Six mois de préparation avant le départ

« La dialyse est très contraignante en termes de temps. Nous sommes tributaires d’horaires et jusqu’à présent le seul moyen d’en sortir un peu est de se dialyser à domicile. C’est ce que j’ai fait en 2007. J’ai retrouvé un peu de liberté. Néanmoins l’année dernière lorsque j’ai commencé à réfléchir pour partir en voyage en Islande ce peu de liberté ne suffisait pas. » En effet, le seul centre de dialyse du pays est à Reykjavik et cela limite de ce fait la possibilité de visiter complètement le pays. « J’ai eu la révélation de la solution en visionnant des reportages sur les exploits de plusieurs dialysés qui utilisaient la machine NxStage en déplacement. »

Alors a commencé l’étude de ce projet insensé : faire le tour de l’Islande en voiture et en se dialysant dans les chambres d’hôtels le soir. « Cela m’a pris six mois pour tout régler. Il a fallu obtenir l’accord de Théradial pour me prêter une machine, de l’Hôpital privé de l’estuaire pour me former, de l’Anider pour me fournir les consommables et toute l’aide logistique et de 66°Nord pour prévenir les hôtels et location de voiture. Ces quatre partenaires ont été formidables et ont dépassé mes attentes. »

Après plusieurs mois à organiser le transport du matériel médical et à se préparer pour ce voyage il est l’heure pour Gilles et ses amis d’embarquer destination l’Islande.

Récit du voyage

Il est prévu de faire les 2/3 du tour de l’Islande en voiture puis de finir en avion en
passant au-dessus des volcans et du désert. Départ de Roissy à 22h45 ; il faut enregistrer les bagages. Une queue interminable au guichet. Soudain le service de sécurité demande d’évacuer la zone car une personne a oublié son sac à main. Nous traînons un peu car dernier sorti = premier rentré. Pan en plein dedans : l’alarme passée, nous filons dans les guichets en premiers. Pour nos bagages pas problèmes, mais alors pour la machine cela se complique ! La personne au guichet est salariée de l’aéroport de Paris et n’a pas de consigne de WOW AIR. J’ai montré le mail de WOW AIR stipulant qu’il prenait la machine sur simple présentation d’un document médical, ce qui a débloqué la situation. C’était réglé, simplement avec une étiquette en plus pour les manutentionnaires pour le poids de 44Kg. La machine devait être mise en petite soute. A l’arrivée à Keflavik, la machine devait sortir par une porte spéciale mais en fait elle est venue par le tapis avec les autres bagages. Bon, elle a l’air en bonne état. Il est 1 heure du matin (3 heures française), il fait jour ! Depuis l’avion nous avons vu le soleil de minuit descendre puis remonter.

Maintenant il faut aller chercher la voiture. Tout compte fait on nous donne un Renault trafic. Par sécurité on prend le GPS… Et oui, les cartes de l’Islande ne sont pas commercialisées en dehors de l’île.
Eh bien, quelle galère pour trouver l’hôtel malgré le GPS ! La façon de définir un lieu est complètement différente. Par exemple vous donnez un nom de rue avec un numéro et le GPS vous propose les villes dans lesquelles ce numéro existe. Le problème est que dans les adresses qui nous ont été données en islandais on ignore ce qui est ville ou rue… Finalement nous rentrons les coordonnées GPS et là, bingo, ça marche ! Nous arrivons à l’hôtel. Le réceptionniste nous parle immédiatement de la palette de consommables. Je file regarder le type de prise de courant dans la chambre… C’est bon, c’est comme chez nous. Ouf !

La vie est chère en Islande mais le confort est là : douche et baignoire, télé dans la salle de bain, home cinéma dans la chambre. Par contre (mais nous le savions), il n’y a pas de volets aux fenêtres ! Allez, dodo maintenant. Le lendemain matin dimanche, (en fait il n’y a pas de matin ni de soir car il fait jour tout le temps), le choix a été difficile. Le Sud avec toutes les activités de la péninsule Reykjanes ? Ou le Nord dans les terres ? Nous optons pour le Nord: le site de Pingvellir, où s’est réuni en 980 le premier parlement ; au même endroit la fracture de la plaque tectonique.

Mon rêve est réalisé : j’ai un pied en Europe et un pied en Amérique. Quelques kilomètres plus loin le geyser. La terre fume, de l’acide sulfurique coule. Soudain tout le monde crie : Le geyser a jailli ! 30 mètres de haut, cela sent le soufre. La terre a parlé et me souhaite la bienvenue. Le second geyser ne crache plus car les prélèvements d’eau ont abaissé le niveau de la nappe phréatique. Nous reprenons la route, direction Gullfoss, une énorme cascade. Mon problème d’anémie se fait sentir. On monte et on descend sans arrêt. Mes jambes me font souffrir mais le moral est le plus fort. Il n’y a pas beaucoup de kilomètres à faire à chaque fois mais sur les pistes on n’avance pas. Nous arrivons vers les 20 heures. Nous avions prévu de manger au gîte mais hélas ils n’ont rien à nous donner et il faut chercher un restaurant. Ce n’est pas si simple car en fait l’Islande compte une route qui fait le tour de l’île, et de temps en temps une piste part pour aller rejoindre une ferme.

Nous ne sommes pas fiers mais finissons par trouver un restaurant au bout d’une 1/2h. Les Islandais se sont adaptés aux touristes et ont mis en place tous les services dont nous avons besoin le temps de la saison chaude. Nous rentrons au gîte à 22 heures. Il est trop tard pour faire la dialyse. Denis et Patricia sont inquiets mais Laure les rassure. Ce n’est pas grave car la dernière date de la veille au matin.

Lundi 1er juillet : petit déjeuner copieux. 9 heures, on reprend la route. 5 kilomètres plus loin, de nombreuses cascades. L’eau provient du glacier de l’Eyjafoll, ce volcan qui a tant enquiquiné les européens en 2010. En fait, nous avions dormi au pied du volcan.On continue vers une piscine naturelle. L’eau sort à 80°.

En 1900, un paysan avait monté un petit muret pour retenir l’eau. Il fait 8° dehors, moi je ne me déshabille pas. Les trois pingouins qui m’accompagnent plongent. Pendant qu’ils se rhabillent, je pars devant à la voiture, en marchant lentement. Cela me gêne énormément de les ralentir.

Prochaine étape : une langue du glacier Myrdajökull. Nous roulons 5 kilomètres de pistes qui font frémir les filles puis la fin à pied. Une fois de plus je me désiste. Nous allons sur la plage de Reynisverfi. Du sable noir de lave avec l’écume blanche de la mer. A priori nous avons manqué les œufs de Macareux.

Tant pis. Le temps passe vite, nous continuons vers l’hôtel en direction de Kirkjubaejarklaustur. Vers l’an mil, un volcan a déversé des millions de tonnes de laves qui ont agrandi l’île au sud. Cette lave est aujourd’hui recouverte de mousse jaune. Cette région, grande comme la Normandie, compte 400 habitants. Le gîte est magnifique : 150m², spa, sauna, cascade, moutons… Lorsque nous expliquons au propriétaire qu’il faut brancher une machine de dialyse, il devient blanc. Il n’est, en effet, pas sûr que l’alimentation électrique tienne le coup. Effectivement quand je branche le réchauffeur les ampoules dans la salle baissent d’intensité. Mais cela tient. Je me dialyse de 22 à 24 heures sans aucun problème, pendant que Denis et Patricia sont dans le spa. Pour nous, le spa ce sera demain matin.

Mardi 2 juillet : Parc national du Vatnajökull. Le plus grand glacier d’Europe. Nous nous en approchons. Cette fois je vais marcher pendant une heure pour le voir. Le terrain est plat et Laure m’aide. Ensuite une merveille : les icebergs qui se détachent du glacier et partent dans la mer. Nous glissons entre les icebergs sur un drôle de bateau avec des roues. Tout à coup l’un d’eux se retourne. Toute la glace qui était sous l’eau est maintenant au-dessus. La glace est d’un bleu magnifique. Le guide nous en apporte un morceau et nous le croquons. Repas à l’hôtel puis dialyse sans problème dans une chambre qui fait au moins 30m². Denis et Patricia redoutent un peu moins ma machine infernale. Ils m’apportent maintenant un café bien agréable à boire entre amis.

Mercredi 3 juillet : il fait froid, le temps est brumeux. Les nuages sont bas et cachent les montagnes. Nous avons décidé de monter sur le glacier faire de la motoneige. Nous ne sommes pas équipés pour le froid. Patricia et moi cherchons une excuse pour ne pas y aller. Hélas Denis est imperturbable. Est-ce la volonté de monter dans cet immense 4×4 ? La montée est fantastique. Le 4×4 grimpe sans problème. Notre guide parle un peu moins bien l’anglais que toutes les personnes que l’on a rencontrées jusqu’à présent mais le paysage est magnifique. Arrivés en haut, nous enfilons les combinaisons de ski, les gants, casques et bottes. Pas de problème pour payer, la machine à carte bleue est présente. Quand on veut travailler on se donne les moyens. Nous sommes une vingtaine de motoneiges avec deux personnes par engin. Un petit cours rapide et c’est parti. On n’y voit pas à 5 mètres. Je balise dur car j’ai peur de me perdre. En plus Denis fait exprès d’accélérer et ralentir devant moi. La matinée y est passée. Il faut faire la route maintenant. Nous croisons un troupeau de rennes. Nous pique-niquons dans le port de Höfn. Il y a une côte de baleine sur le quai… Immense !

Nous reprenons la route et longeons les plages et fjords. Arrivés à l’hôtel, le patron nous demande de repartir car il a accepté un car et n’a plus de place pour nous. Il a réservé deux chambres à Breiddalvik. C’est dommage car il y a avait un spa. Nous devrons donc nous contenter d’un sauna. Ce soir pas de dialyse, et visite du village (en fait un bar, un restaurant…et basta !)

Jeudi 4 juillet : aujourd’hui beaucoup de route prévue. De plus la route N°1 n’est pas bitumée sur 50 kilomètres. Nous avons décidé d’aller voir les phoques et une cascade. Le destin en a décidé autrement : en pleine montagne, sur la piste, un pneu éclate. On change la roue mais maintenant il nous faut une autre roue de secours. On contacte l’agence de location de voitures, qui va faire des recherches car nous sommes dans une zone désertique. Nous reprenons la route, mais doucement, et arrivons à Egilsstadir. Recherche d’un marchand de pneus. Pas compliqué, il n’y en a qu’un ! Il est déjà au courant de notre passage ! Eh oui, il en était sûr puisqu’il est tout seul ! C’est loupé pour les phoques. Nous nous contenterons des cascades de Dettifoss. Le soir, arrivée à Myvatn. Repas au restaurant puis dialyse de 22h à minuit. J’ai eu le défaut capteur de sang et le défaut haute pression chambre d’équilibrage. Patricia avait peur pour moi alors que j’étais zen. Comme nous restons deux nuits dans cet hôtel, pas besoin de trimbaler la machine et les cartons demain matin.

Vendredi 5 juillet : la plus longue et la plus belle journée. Il n’y a en effet pas de route à faire puisque nous dormons dans le même hôtel. Nous commençons par aller voir une coulée de lave qui s’est arrêtée à 50 mètres de l’église de Reyjahlid en 1740.

Puis une piscine d’eau chaude, puis l’usine de géothermie. Nous continuons par les solfatares. Du soufre qui sort de terre avec de la vapeur d’eau. Bonjour les odeurs. Nous montons sur la colline jaune et rouge. Un mélange de minéraux lui donne cette belle couleur. Nous grimpons ensuite au volcan Krafla. Celui-ci a explosé en 1970 et il fume encore. De la vapeur d’eau sort et nous brûle les mains. Le centre du cratère est blanc comme de la cendre. Un second rêve est réalisé. Cela me donne la force suffisante pour monter et descendre le cratère. Patricia en veut encore. Elle veut escalader le Hverfell. 160 mètres de dénivelé, 1000 mètres de diamètre. Ils partent devant. Laure m’aide, les autres touristes me soutiennent et m’encouragent. 45 minutes d’ascension plus tard nous y sommes. L’intérieur du volcan est parfait : Un beau cercle avec au centre un ballonnement des cendres qui sont redescendues. Le vent souffle fort. Nous restons 15 minutes à admirer le spectacle. Le soir dialyse encore une fois sans problème.

Samedi 6 juillet : il faut jeter les restes de la dialyse. Nous n’avons jamais vu de pharmacie ni d’hôpitaux tout au long de la route. Nous jetons tous les consommables dans une grande benne à ordures métallique. Celle-ci est prise par un camion et il n’y a pas de manutention manuelle.

L’aéroport est à une heure de route. Nous passons près de la cascade Godafoss. C’est un vol national. A l’enregistrement pas de problème. L’agent est un vrai viking, les 43kg de la machine ne le gênent pas. Comme nous avons un total de 80kg de bagages il n’y a pas de supplément à payer. A priori la petite soute pressurisée n’existe pas. Le voyage est rapide mais nuageux. Nous avons donc loupé les volcans et le désert. Je suis frustré. A Reykjavik nous demandons à un taxi de nous promener avant d’aller à Keflavik. Le chauffeur est un ancien cuistot de navire de pêche qui parle parfaitement l’anglais. A Keflavik l’enregistrement est chaud. J’ai bien le document de WOWAIR qui accepte de prendre la machine mais il y est noté 35kg alors qu’en fait elle pèse 43kg. Il faut demander l’accord de la sécurité. Ouf c’est bon, ils acceptent. Nous portons la machine au guichet bagage hors dimension.

Voilà, c’est fini… Nous récupérons la voiture à Roissy en France et retour sur le Havre.

Bilan de son voyage

L’Islande est un pays magnifique. Nous y retournerons car il est impossible de tout voir en une semaine. Nous traverserons alors le centre du pays avec les lacs d’eau chaude et les lacs d’acide sulfurique. Pendant le voyage la dialyse s’est passée sans problème et presque en toute transparence le soir après le repas. Le plus dur dans le projet a été l’organisation de l’expédition des consommables et les frais y afférant. Ce problème disparaîtrait si un laboratoire local distribuait la machine.
Si plusieurs personnes dialysées se sentent prêts à faire l’expérience, j’organiserai alors un nouveau voyage pour eux, mais avec dialyses en centres de dialyse conventionnels.

>> Retrouvez toutes les photos de son voyage en Islande